S’il faut bien se fixer sur une apparence stable, histoire de ne pas devenir totalement fou, rien ne rappellerait à quelqu’un les origines russes d’un pauvre hère perdu. Il aurait pu, aurait du être blond platine, la peau pâle, les yeux brun. La peau claire, il l’a, contrairement à son mongol de père. Il l’a vraiment, même, quoiqu’elle ne marque pas beaucoup. Pour le reste, c’est mort. Des cheveux noir corbeau totalement indomptables, des yeux d’un vert ambré… Mouais, pas très "cliché russe", dans l’idée. Pour couronner le tout, il n’est pas grand. Frôlant le mètre soixante-cinq, fin comme une brindille… Meh. S’il sait manier un couteau sans problème, personne ne lui mettra une arme lourde dans les mains.
Luth est quelqu’un de souriant. Oui, il sourit beaucoup, et certains diraient même "trop". C’est possible. Son allure générale tend plutôt à s’accorder sur le fait qu’il est négligeant. Jamais coiffé, du coup, toujours un peu débraillé, il a du mal avec les costumes et autres fringues plus ou moins classes, y préférant les jeans foncés et les t-shirts sobres mais aux couleurs improbables. Quand il doit sortir, il a souvent une casquette pour passer un peu plus inaperçu, et TOUJOURS des écouteurs ou un casque audio sur le crâne (sous la casquette).
Peu touché par les crises existentielles des polymorphes, le brun est quelqu’un de souriant, voire avenant, très peu enclin aux crises de colère. Jusque là, c’est génial, un vrai chaton.
Luth n’est pas à craindre mais pas à sous-estimer. Il lui arrive d’avoir des mimiques enfantines, comme balancer ses pieds sous la table, ou faire clairement comprendre qu’il s’ennuie, mais il est surtout espiègle. Voler une carte, un porte-feuille, juste pour le plaisir de le lancer sur son propriétaire le fait bien marrer (et ne le laissez jamais seul dans un casino, il se mettrait à courir partout en balançant des jetons dans tous les sens. Un vrai gosse.).
Sa première arme est le sarcasme, sa seconde le mensonge, et la troisième est toujours planquée quelque part sur lui. Tout bon voleur se doit d’avoir un canif, et il n’échappe pas à la règle. Il ne rechigne pas à s’en servir, quoique tuer ne l’intéresse absolument pas. Au mieux, il trouve ça salissant. Il est surtout d’une loyauté indéfectible, et a un sens de l’honneur à toute épreuve, qui peut s’avérer un peu gênant si quelqu’un extérieur à la famille lui sauve la vie, par exemple. Problématique, puisqu’il se sentira endetté envers cette personne.
Depuis qu’il est arrivé à Vegas, au moins, il ne s’ennuie pas. Les joyeux bordels l’ont toujours franchement amusé. Au delà de ça, il ne se pose pas vraiment de questions. Et puis son rôle lui plait bien, il n’a pas à se plaindre. Noires ailes, noires nouvelles.
Il a des rencontres improbables dans la vie, et celle de Gansükh et Anastasia en fait partie. Si le mongol avait fait une incursion un peu trop loin dans le territoire soviétique, il n’en est pas moins ressorti avec une femme. Oui, bon, il l’a volée à ses parents. Et alors ? Qui n’a jamais volé quelque chose ?… Comment ça "pas pareil" ? C’est comme ça que ça s’est passé, de toute façon, et se faire ramener en travers d’un cheval n’a pas vraiment plu à la demoiselle. Désolé pour elle.
Outre les questions d’honneur, de barrière de langue, de différences culturelles, et autres choses dont le cavalier se fichait totalement (demander son avis aux gens, c’est tellement surfait.), leur cohabitation se passa plus ou moins sans encombres. La jeune femme avait du mal à s’habituer au principe du "je pourrais m’installer quelque part mais en fait on repart demain". Surtout dans un village composé uniquement de surnaturels... Mais elle le vivait plutôt… Oui, relativement bien.
Tellement bien, en réalité, qu’une fois habituée à la montée à cru, au thé salé et aux bonbons bizarres, la blonde finit enceinte jusqu’aux yeux et en ayant totalement oublié son pays d’origine. Comme quoi, séquestrer quelqu’un, ça fonctionne vraiment. Il n’avait jamais eu de mauvaises intentions, le bougre, il était juste un peu con.
De là à dire que ce fut un "mariage heureux", cependant, il y a un pas que je me garderai de franchir. Gansükh étant éclaireur, il était rarement présent pour sa femme et encore moins pour le bébé à naître. Et ce fut le cas pendant six ans, jusqu’à ce que le gamin grandisse assez pour apprendre à monter. Là, d’un coup, son père s’est beaucoup plus intéressé à lui et s’est penché sur son éducation. Entretemps, il avait appris à parler correctement, à jouer de la musique et à écrire en cyrillique.
À partir de ce moment, ils étaient inséparables. Le cavalier lui apprenait tout ce qu’il savait. Des légendes jusqu’à la manière de dresser un cheval, des premiers soins à l’écriture, tout. Il était présent pour compenser tout ce qu’il avait raté, mais son fils était tellement calme qu’il se demandait légitimement si ce gosse était le sien. Dans sa famille, on a toujours été polymorphe. Jamais il n’a vu ce "50%" relatif, et pensait donc simplement que son fils serait de même. Mais aucun signe de quoi que ce soit avant ses 8 ans.
Là, le pauvre gamin était passé par à peu près tout et n’importe quoi. De l’apparence d’un de ses amis à celle d’un chat aux alentours en passant par le corbeau qui survolait la plaine, et à une vitesse hallucinante. Et après, plus rien. Pendant deux jours, le calme plat. Puis il piquait une nouvelle crise, et ces cycles s’enchaînaient de manière plus ou moins soutenue, jusqu’à ce que Gansükh arrive à le faire se concentrer suffisamment de temps pour lui expliquer avec des phrases-bateau de papa paumé que "c’est totalement normal", "non, tout le monde n’est pas comme toi", "je vais t’apprendre à le contrôler", "tu vas voir c’est rigolo" tout ça. Ouais, il a eu du mal à s’en sortir, mais son fils était à cette époque assez… naïf, et adorable, pour l’écouter sans broncher, entre deux crises de larme à cause de la douleur.
Kheree apprit alors tout ce que son père voulut bien lui expliquer à ce propos, contrôlant ensuite basiquement son pouvoir. Et ça lui a pris deux années complètes, juste pour se fixer une apparence stable, celle qu’il gardera. À l’aube de ses dix ans, il réussit enfin à totalement maîtriser cette apparence qu’il s’était choisie. Puis il se mit à littéralement harceler son père pour lui apprendre le reste, et Gansükh finit par céder. D’abord les autres humains, puis les oiseaux. Le reste, Kheree y était absolument hermétique. Il ne voulait rien en apprendre, et, tête de mule comme son père, rien ne l’y forcerait.
À force d’être bercé dans les contes de son pays, le petit brun finit par apprécier plus que de raison les corbeaux. Son apparence "fixe" y ressemblant à s’y méprendre tout en restant humaine, même si elle était fortuite. Et comme son père lui passait tout, il le laissait faire en le surveillant. Sale gosse, le petit l’était, mais il était également juste adorable.
C’est donc comme ça que père et fils se retrouvèrent en amont du khanat (un petit , mais un khanat quand même) pour s’assurer de la direction qu’il allait prendre, et vérifier que rien ne viendrait les attaquer. Bref, le travail d’un éclaireur, quoi. Le gamin était très porté sur les détails, Gansükh se gonflait d’orgueil à l’idée que son fils prenne un tel poste ensuite. À la mi-journée, ils s’arrêtèrent au bord d’un ruisseau pour manger, puis retournèrent sur leurs pas pour trouver, sous le soleil couchant.... personne. Absolument personne. Le plus vieux grimaça en voyant la fumée épaisse s'élever des ger.
« Kheree, on part.
- Quoi ? Mais pourquoi ?
- Maintenant. »
Gan attrapa le jeune par la nuque avant de lancer son cheval au galop. Luth partit donc devant, perdu, mais bientôt rejoint par son père. Il n’eut pas de mal à intégrer la fin de son "ancienne vie" (des chasseurs avaient rasé ce village de surnaturels, après tout...), se contentant donc d’emporter ce qu’il pouvait et d’écraser la tête du gosse sous un chapka. Il fait froid, la nuit, ici.
Après déjà plusieurs jours de voyage en direction de la capitale, pour rejoindre un aéroport, Gan avait déjà essuyé quelques conversations maladroites et de maigres protestations de son fils.
« Mais pourquoi…
- Certaines personnes sont mal intentionnées.
- Mais pourquoi nous ?
- Le hasard. »
Le hasard n’avait pas sa place dans ce genre de traque, et Gansükh préféra simplement passer sous silence qu'ils ont sûrement dû accueillir un chasseur solitaire, qui sera revenu avec des amis. Leur chevauchée s’éternisait, et le petit commençait à faiblir. À dix ans, il était certes jeune et plein de fougue, mais chevaucher nuit et jour en dormant à peine ne pouvait être bon pour personne.
Arrivés à Ulaanbaatar, le plus vieux réserva deux aller-simple direction Tokyo et attrapa Kheree par les épaules. Il y a des choses qu’il vaut mieux de pas dire, et d’autres qu’il est stupide de cacher.
« Khe, écoute-moi. Les gens qui nous cherchent ne doivent pas te trouver.
- Hm… » Le petit brun renifla faiblement, toujours un peu perdu. Il n’avait rien demandé, lui.
« On va prendre l’avion. Tu sais ce que c’est un avion.
- … oui.
- Et on part loin. Là-bas tu vas apprendre à parler autrement, avec d’autres gens.
- Et maman elle vient quand ? »
Gan se contenta de soupirer faiblement. À dix ans, un gosse comme lui avait déjà connu la mort d’un proche, ou du proche d’un ami. Mais personne ne lui avait explicitement dit que sa mère était morte… Et il ne comptait pas le faire, si l’occasion s’en présentait. Heureusement, l’annonce de leur vol l’empêcha d’épiloguer sur cette histoire. Ils auraient le temps de faire le deuil de femme et mère quand ils auraient mis une mer entre eux et les sales méchants pas gentils.
« Khe, écoute-moi. À partir de maintenant, tu t’appelles Luth.
- Lu- quoi ?
- Luth. Répète après moi.
- Luth. Ça veut dire quoi ?
- Pas d’importance.
- … Et toi t’es qui ?
- Aleksei. »
Après un vol reposant, quoique perturbant autant pour Gansükh que Kheree, le plus vieux partit simplement les installer dans le premier hôtel plus ou moins potable. Ses bases solides en anglais lui permirent de trouver un travail (dans l’illégalité la plus totale) histoire de payer les frais de leur hébergement provisoire, et de permettre à son fils d’apprendre autant le parler japonais que l’anglais écrit et oral.
Ils restèrent longtemps à Tokyo, à vrai dire, mais pas à l’hôtel. Rapidement après leur arrivée, un vieil ami d’"Aleksei" lui proposa de venir séjourner chez eux le temps qu’ils se remettent en route. Cependant, leur escale s’éternisait sans jamais que personne ne les pousse à partir de nouveau, et Kheree passait autant de temps à étudier les langues que le luth.
Au bout de six ans, il parlait parfaitement le japonais et ne cessait de s’améliorer en anglais. Pour le moment, il apprenait le langage soutenu en même temps que l’argot. À 16 ans, Liuto n’était plus Kheree, et il avait quasiment oublié ses pouvoirs. Chez l’ami de Père, il n’avait pas le droit de se changer, ou très peu. Et ça faisait tellement mal qu’il s’en passait bien. La seule chose qu’il faisait parfois était de se changer en corbeau. Lire des passages de folklore japonais l’avait convaincu dans l’idée que c’était juste son animal préféré.
Et puis, d’un coup, Papa n’était pas revenu. Kheree savait qu’il travaillait beaucoup, et que ce n’était pas très légal, mais il ne s’était jamais réellement inquiété. Papa lui disait toujours que tout allait bien, mais là… À partir du jour où il était parti, Kheree s’était retrouvé à la rue avec ses affaires. Visiblement, il ne pouvait pas rester. "Trop dangereux", qu’il disait.
Alors il s’était perdu dans les rues, serein. Il avait volé parfois, gardant soigneusement son argent pour obéir à son père. Il lui avait dit :
« Khe, écoute-moi. S’il m’arrive quelque chose, tu pars à Los Angeles. De là, tu files dans le Nevada. »
Le petit brun s’était contenté d’acquiescer, ne comprenant pas trop cet enchainement d’évènements. Mais il essaya de bien mémoriser ce que disait son père, tout en regardant le doigt de ce dernier tapoter l’état où il arriverait et celui où il devrait se rendre. Il n’avait jamais pensé que ça se ferait un jour.
Il n’avait pas mis tant de temps (trois ou quatre mois seulement, en travaillant comme barman) à récolter l’argent requis pour son vol, et s’en trouva tout content. Après tout ce temps à trainer dans les rues, il n’était plus Kheree, mais plutôt Luth. Il n'y pouvait rien : personne ne devait le trouver.
Le plus long fut certainement de passer d’un état américain à l’autre. C’était très bizarre, pour lui qui avait quasiment traversé tout un continent, une mer et un océan, de se retrouver comme ça, bloqué dans un endroit stupide juste parce qu’il n’avait littéralement plus un rond.
C’est donc avec cette problématique qu’il se remit à travailler, un peu… Blasé, oui. Beaucoup, même. Avec ce bordel, il n’avait pas eu le temps de pleurer sa mère, ne savait toujours pas où son père avait fini, et préférait ne pas regarder en arrière pour ne pas se perdre dans ses souvenirs. Au fond, il restait Kheree. Mais personne ne devait savoir, c’est papa qui l’a dit.
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Perdu dans les rues de Vegas, un petit brun serrait un vieux plan dans ses mains comme si sa vie en dépendant. Et c’est, finalement, plus ou moins le cas. Il était totalement perdu, et rien n’était comme Père avait prévu. À son arrivée, il avait appris qu’il n’y avait plus un, mais trois. Sans la moindre idée de l’endroit où il devait se rendre, le petit corbeau ferma fort les yeux avant de se diriger dans le premier casino venu. Octobre était bien plus clément ici que chez lui.